Intervention de Gérard Dantec au Sénat

Gérard Dantec est intervenu au Sénat le 18 février 2014 dans le cadre des auditions sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet.

une mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie de l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet. - See more at: http://www.isoc.fr/agenda/audition-au-senat-de-gerard-dantec-president-i...

Voici ci-dessous la retranscription de son intervention :

"Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet", Mardi 18 février 2014 - Sénat

Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames et messieurs,

Je vous remercie de me recevoir. Je me réjouis qu’après avoir auditionné des acteurs emblématiques, pères fondateurs d’Internet comme Vint Cerf ou Louis Pouzin, vous donniez aujourd’hui la parole à notre association. Je me réjouis de cela, comme je peux me réjouir, que le Premier Ministre ait récemment décidé de faire de l’engagement associatif la « grande cause nationale 2014 ».

Le tissu associatif comprend en France, plus d’un million d’associations et plus de 15 millions de français sont membres d’au moins une association. L’activité associative est essentiellement bénévole. C’est le cas d’Internet Society France exclusivement composée de bénévoles et tirant ses ressources des seules cotisations de ses membres. Nous sommes des citoyens internautes bénévoles qui avons par ailleurs une activité professionnelle en rapport ou sans rapport avec Internet mais nous partageons certaines valeurs.

Je voudrais donc témoigner devant vous au travers de notre expérience associative de plus de 20 ans sur la scène d’Internet, des difficultés que rencontre la société civile regroupée au sein d’associations à faire valoir localement son point de vue, et à plus forte raison à porter ses valeurs sur la scène de la gouvernance internationale de l’Internet.

Je dirai également quelques mots de ce que nous faisons et des quelques réussites liées à notre action. Je finirai par quelques pistes d’améliorations qui me semblent devoir être étudiées.

J’espère que l’angle choisi pour cette intervention permettra de répondre à quelques unes de vos interrogations. Tout le monde s’accorde à dire qu’aujourd’hui le réseau est devenu un enjeu technologique, économique et sociétal majeur.

Il faut rappeler que depuis 2010, le nombre d’utilisateurs d'Internet dépasse la barre des deux milliards soit près du tiers de la population mondiale. L’ampleur de ces chiffres montre qu'Internet est bien plus qu’un gigantesque marché où s’échangent les biens et les services, qu'Internet est bien plus qu’un outil supplémentaire de communication aux mains d’une élite. En effet, nous sommes nombreux à penser qu’Internet constitue aujourd’hui à l’évidence le socle du développement matériel, intellectuel et social de l’humanité.

Internet Society France s’efforce de faire valoir ce point de vue et contribue, à sa mesure, à défendre les valeurs fondamentales d’Internet que sont l’universalité, l’accessibilité, le respect des standards ouverts,  la non discrimination du réseau (que l’on nomme communément la neutralité), la liberté de production, de partage et d’expression. Ce sont ces valeurs fondamentales qui répondent le mieux à cette formidable espérance d’un Internet pour tous.

Pour mieux nous situer, Internet Society France est le chapitre français d’une organisation associative internationale « Internet Society » basée à Reston et à Genève, qui promeut le déploiement d'Internet dans le monde. Fondée en 1992 par Vint Cerf, Internet Society gère l’extension ".org" et participe aux activités de la communauté technique comme le W3C dont elle assure une grande partie du financement et de l’IETF (Internet Engineering Task Force) dont Internet Society assure la coordination et une partie du financement. Internet Society regroupe dans ses chapitres de nombreux acteurs y compris des acteurs de la société civile, des associations et des simples usagers. Internet Society compte 65 000 membres répartis au sein de 100 chapitres à travers le monde.

Ainsi si Internet Society grâce aux bénéfices liés à la gestion du ".org" peut financer une partie des travaux de la communauté technique qui élabore les normes et les standard d'Internet afin de favoriser le respect des principes et des valeurs énoncées plus haut (universalité, accessibilité, respect des standards ouverts, neutralité), le fonctionnement des chapitres regroupant les 65 000 membres un peu partout dans le monde n’est quand à lui pas financé. Donc chaque chapitre doit trouver les financements pour fonctionner au quotidien ce qui ne pose pas trop de difficultés pour des bénévoles agissant au plan local mais devient très complexe lorsqu’il s’agit de participer à des réunions internationales un peu partout dans le monde.

Depuis l’organisation, à l’initiative de l’ONU, du premier Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI) à Genève en 2003 puis à Tunis en 2005, un calendrier annuel de réunions des Forums de la Gouvernance de l’Internet s’est mis en place. L’initiative est fort intéressante pour plusieurs raisons.

La première qui nous tient à cœur c’est qu’elle diffère légèrement du modèle onusien "Union Internationale des Télécommunications" (UIT). En effet, le SMSI regroupe depuis sa création autour d’une même table les gouvernements, les entreprises de l’Internet, la communauté technique et la société civile. Le SMSI a pris comme modèle de fonctionnement le modèle multi-parties prenantes qui permet d’éviter les écueils de sommets où la société civile est obligée d’organiser des sommets parallèles pour être entendue.

La difficulté à faire fonctionner ce modèle multi-parties prenantes réside dans les capacités financières de cette société civile (enfin écoutée) à se déplacer partout dans le monde lors de ces forums. Par exemple, depuis 2005, Internet Society France n’a pu participer qu’à seulement 4 réunions internationales, dont une fois comme expert au sein de la délégation gouvernementale. Il en est de même pour les différentes réunions organisées à l’échelle européenne entre ces sommets annuels. Une association loi de 1901, fonctionnant sur les cotisations de ses membres, a rarement les capacités à assurer de fréquents déplacements.

C’est le problème que je voulais soumettre à votre éminente Assemblée.

Vous recevrez après moi Sébastien Bachollet, ancien Président d'Internet Society France, qui vous détaillera le fonctionnement des instances internationales auxquelles il participe pour représenter les utilisateurs avec d’autres mandats, et notamment celle de membre du board de l’ICANN.

Je reviens sur le modèle multi-parties prenantes :

Vous cherchez à tirer les enseignements de l’affaire Snowden qui a fait apparaitre au grand jour les craintes soulevées depuis de nombreuses années par de nombreux experts ou de simple citoyens éclairés en Europe et partout dans le monde. Cette affaire semble aujourd’hui vouloir nous imposer des choix, notamment celui de trouver une parade à la suprématie américaine.

On voit apparaitre à nouveau la tentation du pur modèle onusien qui serait la seule alternative à cette suprématie américaine. Or le modèle onusien pur montre régulièrement ses limites comme évoquées plus haut avec les contre-sommets ou les tentatives de l’UIT à prendre maladroitement la main sur l'Internet, tentatives unanimement rejetées.

Le modèle multi-parties prenantes porté par Internet Society et sur lequel, dès les premières réunions du SMSI, les acteurs présents se sont engagés, nous semble le plus pertinent pour établir un consensus entre les états, pertinent pour garantir les intérêts du secteur privé et des individus citoyens internautes de part le monde.

A titre d’anecdote si le modèle multi-parties prenantes avait été utilisé en France, peut-être aurions-nous pu éviter l’épisode remontant à 1976 ou à l’ébauche d’un Internet français porté par Louis Pouzin en plein bouillonnement créatif avec les pionniers américains, le projet du Minitel franco-français a été préféré. A partir de ce moment, l’Internet s’est développé à partir des USA qui en a pris le leadership et a rangé la France et l’Europe au rang d’utilisateurs passifs pour des décennies.

Encore pour l’anecdote, l’élaboration des protocoles pour la pérennisation des investissements liés au Minitel (tels que le RNIS/ISDN) fut en son temps moquée par la communauté technique internationale en "Innovations Subscribers Don't Need" (innovations dont les abonnés n’ont pas besoin).

Plus récemment, la France a failli porter une atteinte majeure à la neutralité des réseaux au travers de la loi dite Hadopi. A l'origine, cette loi, au prétexte de sauver une industrie du disque agonisante et sans écouter la société civile, presque accusée de vouloir encourager le piratage, aurait favorisé les ententes entre opérateurs, fournisseurs d’accès et fournisseurs de contenu, plongeant ainsi la France dans un mouvement de privatisation de l’Internet et donnant un coup d’arrêt à l’émergence de nouveaux protocoles d’échanges de données sur le réseau. Là encore, la communauté technique et la société civile sont intervenues afin d’éviter cette catastrophe technologique qui s’annonçait.

Cela pour dire que les valeurs fondamentales d’Internet permettent de garantir sa pérennité, sa solidité et son évolution et qu’à chaque décision politique qui concerne Internet, l’intérêt collectif doit être privilégié. On doit garder à l’esprit que même si Internet est un formidable levier de l’économie, de la croissance, il est avant tout l’outil en passe de devenir universel pour propager la culture et le savoir, et relier les hommes de toutes les origines à travers le monde.

On peut par ailleurs rassurer les entrepreneurs du Web en rappelant que seul un Internet centré sur l’utilisateur et sur lequel règne la confiance pourra se déployer massivement et générer de l’activité économique. Ceci implique le respect des équilibres au sein d’un Internet pensé comme un écosystème et dont la gouvernance ne peut être que multi-parties prenantes.

En ce qui concerne nos activités, nos réussites :

Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, le chapitre français de l’Internet Society a réussi à participer à certains forums internationaux afin de porter ses valeurs. Localement, Internet Society France a été l’organisateur des Etats Généraux Européens du Nommage sur Internet (EGENI) en partenariat avec le Cigref, la CCIP et le Medef de 2002 à 2008.

Internet Society France est parfois consultée par les commissions parlementaires. Nous avons ainsi pu participer à la réécriture en 2011 du Code des postes et des communications électroniques, et faire valoir l’introduction de l’intérêt général et des particuliers dans l’attribution des noms de domaine en France.

Aujourd’hui, nous sommes partie prenante du premier Forum sur la Gouvernance de l’Internet en France, qui se déroulera le 10 mars prochain et nous espérons que de nombreux parlementaires viendront participer aux débats. Bertrand de la Chapelle, président du comité d’organisation de ce forum, a dû vous indiquer qu’il porterait le modèle multi-acteurs autour de 6 ateliers, balayant ainsi les thèmes de la neutralité du Net, de la cyber-surveillance, de la cyber-sécurité, du droit, des données personnelles et de l’innovation.

Pour finir, quelques souhaits que j’aimerais relayer auprès des élus en France et en Europe :

  • Assurer la protection des lanceurs d’alertes,
  • Multiplier les initiatives tendant à mettre le numérique au cœur des préoccupations des parlementaires,
  • Former les élus au numérique et à ses enjeux,
  • Favoriser l’expression citoyenne des internautes afin de préserver un modèle internet centré sur l’utilisateur,
  • Mieux encadrer l’action des lobbyistes afin de garantir les besoins des utilisateurs.

Merci pour votre attention.

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