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Sébastien Bachollet : "Pour la régulation d’Internet, les lois sont utiles mais insuffisantes"

Chat / Débat en direct sur Le Monde.fr le 12 juin 2007

samedi 16 juin 2007.

 

Dans un chat au "Monde.fr", Sébastien Bachollet, président du Chapitre français de l’Internet Society et nouveau représentant des utilisateurs européens de l’Icann défend "Internet pour tous et Internet par tous".

Richard : A-t-on fait des progrès dans la régulation de ce merveilleux outil qui peut être en même temps si dangereux ?

Sébastien Bachollet : On a fait des progrès, et en même temps, l’outil étant devenu un outil mondial, il est clairement nécessaire de faire bouger les choses et de faire autre chose. La question aussi est de savoir à quel niveau on situe les questions de régulation. Pour nous, il y a au moins trois niveaux : le niveau national, le niveau régional (pour nous, l’Europe) et le niveau mondial. Et à ces trois niveaux, il y a une implication et un fonctionnement très différents.

Au niveau national, nos interlocuteurs sont bien évidemment les représentants des pouvoirs publics. A ce propos, on va voir si les choses changent avec le futur nouveau Parlement et nouveau gouvernement. Et nous travaillons beaucoup avec les autres organisations liées à l’Internet peu ou prou. Par exemple, nous avons été fondateurs, avec d’autres, de la FING (Association pour la fondation de l’Internet nouvelle génération), du forum des droits sur Internet, etc.

Nous sommes aussi un des acteurs en organisant une manifestation européenne annuelle qui s’appelle Egeni, qui permet tous les ans de regrouper 200 à 300 participants pour qui les questions d’Internet, son évolution, sa gouvernance, ses technologies ont un intérêt. Si l’on passe au niveau européen, l’ISOC a mis en place une coordination de ses Chapitres qui nous permet de travailler ensemble à définir des positions communes, en particulier vis-à-vis de la Commission européenne.

Mais bien évidemment, le niveau dont on parle le plus, qui a certainement une importance croissante, c’est le niveau mondial, avec, d’une part, des acteurs très diversifiés et, d’autre part, des structures de régulation multiples. Donc on a toutes les organisations internationales liées à l’ONU qui peu ou prou ont des actions, par exemple l’Unesco sur le côté culturel, contenu, l’Union internationale des télécommunications (IUT) sur le réseau et son évolution, etc.

Suite au sommet mondial de la société de l’information qui s’était réunie en deux phases, l’une à Genève et la dernière à Tunis, a été mis en place un forum sur la gouvernance de l’Internet qui est une réunion mondiale permettant à tous ceux qui le souhaitent de pouvoir échanger sur tous les sujets possibles et imaginables liés à la gouvernance de l’Internet.

Et il y a la structure qui focalise beaucoup à la fois d’espoirs et en même temps de ressentiments, de contradictions et de désaccords, qui est l’Icann (International Corporation for Assign Names and Numbers). Elle a été créée en 1998 et depuis cette date, évolue beaucoup, avec une participation à la fois des fournisseurs de l’Internet que sont les gérants de noms de domaine de premier niveau, les revendeurs de noms de domaine et l’ensemble des intermédiaires.

Les autres participants sont les représentants des gouvernements et, sous des formes différentes depuis le début, les utilisateurs individuels.

C’est dans ce cadre-là que l’ISOC France est devenue membre de la structure européenne des utilisateurs individuels de l’Internet et qu’à l’occasion des dernières élections, j’ai été élu pour les représenter dans la structure de coordination de l’ensemble des utilisateurs individuels mondiaux.

antoineb : Vous parlez de structures de régulation mondiale de l’Internet, quelles sont leurs influences réelles sur notre utilisation ?

Sébastien Bachollet : Si on prend l’exemple des noms de domaine, l’Icann a une influence sur notre utilisation lorsqu’elle décide ou non d’introduire dans la racine de nouvelles extensions de premier niveau. Que ce soit le point name ou le point biz, il ouvre des nouveaux champs d’usage de l’Internet.

Parallèlement, l’évolution du protocole Internet (IP) et son passage de la version 4 à une version 6 - IPv6 - auront certainement une influence sur nos usages, puisque ce passage permettra à chacun de nous et à un nombre incroyable d’objets d’avoir sa propre adresse fixe.

Comment nous allons nous servir de cette évolution technologique, je ne peux pas le dire aujourd’hui, mais je suis persuadé qu’elle aura une importance pour les relations entre personnes, et entre les personnes et les objets. Il est aussi sûr que si une organisation quelle qu’elle soit réussit à trouver une solution contre le spam, le phishing et tous ces mauvais usages de l’Internet, elle modifiera considérablement notre relation au réseau.

Thomas : Peut-on réguler Internet ? Faut-il réguler Internet ? Est-ce que Internet n’est pas un très bel exemple anarchiste, l’autorégulation ne fonctionnant pas si mal ?

Sébastien Bachollet : Je crois que quand on parle de régulation d’Internet, il ne faut pas seulement voir la place d’un organisme en charge de, mais comment cela fonctionne. Dans l’Internet, il y a de la régulation, de l’auto-régulation, de la corégulation, et du laisser-faire. Et je crois que c’est ça qui est intéressant, c’est de faire fonctionner ces différents types de régulation en fonction des questions, des besoins et des niveaux.

Je pense en particulier qu’il serait dommage que tout devienne une loi, que la régulation par les participants eux-mêmes est absolument essentielle, que la corégulation avec les acteurs publics est aussi une dimension utile, et de ce point de vue, le travail fait par le forum des droits sur l’Internet en France et ses homologues au niveau européen est très utile.

Maintenant, dès qu’il y a un problème, ne le transformons pas en volonté législative. Faisons le tour, permettons à chacun de s’exprimer et trouvons la meilleure voie pour mettre en oeuvre les évolutions nécessaires sur le réseau. En particulier, si l’on prend des questions comme le spam, aujourd’hui, ce n’est pas en faisant des lois qu’on va résoudre ce problème. Les lois peuvent être utiles, mais sur cette question-là, elles ne suffiront évidemment pas.

Mais cela passe par une implication de tous et un respect des positions, des idées de chacun. Quand on fait référence au forum sur la gouvernance de l’Internet qui a été mis en place au niveau mondial, qui est un bon lieu d’expression et de rencontres, on peut se poser la question de savoir pourquoi il n’y en a ni au niveau français ni au niveau européen.

C’est une de nos demandes fortes pour que l’on puisse rencontrer tous ceux qui ont un avis à donner sur les questions liées à l’Internet.

DavidL : Est-ce que l’UE va continuer à demander aux USA de renoncer à la "tutelle" d’Internet pour transférer cette tutelle à l’ONU ?

Sébastien Bachollet : Pour l’instant, à ma connaissance, l’Union européenne, si elle demande bien l’arrêt de la tutelle par le département du commerce américain sur l’Icann, elle ne demande pas son transfert à l’ONU. C’est bien parce que personne aujourd’hui n’a une solution viable que cette tutelle n’a pas disparu.

Il y a plusieurs solutions qui sont étudiées. Bien évidemment, l’Union européenne et les gouvernements européens y réfléchissent, mais il serait dommage qu’ils le fassent sans consulter les internautes européens.

C’est en particulier pour cela qu’on appelle de nos voeux la création d’un forum de la gouvernance de l’Internet européen qui permettrait de faire, d’une part, le lien entre le niveau national et le niveau mondial et, d’autre part, entre les différentes catégories d’utilisateurs du réseau au niveau européen.

Vineus : Comment éduquer le "grand public" (en général peu au fait des implications des technologies) ?

Sébastien Bachollet : C’est une question que j’aime beaucoup, parce que le grand public, pour moi, commence par les enfants, et si l’on veut éduquer nos enfants, il y a bien sûr ce qu’on peut faire les uns et les autres à la maison, et il y a ce qui peut être fait dans le cadre de l’école.

Il nous semble indispensable de mettre en place une véritable formation, non seulement à l’usage des technologies liées à l’Internet, et à l’informatique plus généralement, mais aussi à la façon d’utiliser ces technologies ; peut-on croire ce qu’on récupère comme informations lorsqu’on fait une recherche sur Internet, donc développer un esprit critique ; comment éviter les contacts non désirés et non désirables entre les enfants et d’autres utilisateurs du réseau ? Il y a donc beaucoup de questions, de sujets sur lesquels nos enfants mériteraient d’être formés. Et pour cela, il faut que les enseignants le soient aussi.

Je serais personnellement très content si était mise en place une formation pour des enseignants spécifiques. L’anglais n’est pas enseigné avec le français ou une autre langue vivante ; on sépare l’histoire et la géographie. Pourquoi les questions liées aux nouvelles technologies ne donnent-elles pas lieu à un enseignement spécifique pour tous nos enfants ? Je sais qu’on me répondra qu’il faut revoir les programmes scolaires et qu’on ne peut rien enlever de ce qu’ils apprennent aujourd’hui. Il serait peut-être temps qu’on réfléchisse à cela.

Pedro : Le téléchargement (p2p ... etc ) va-t-il être légalisé en France lorsque la diffusion des médias téléchargés reste dans l’enceinte familiale comme c’est le cas dans certains pays européens ? Qu’en est-il des procès en cours en France contre les utilisateurs se risquant à télécharger illégalement ?

Sébastien Bachollet : Je ne suis pas un grand spécialiste de cette question. Nous avons à la fois des juristes et des utilisateurs beaucoup plus compétents que moi sur ce sujet dans le Chapitre français de l’Internet Society. Mais ce que je peux dire, c’est qu’il aurait été indispensable que le texte de loi qui a été voté en urgence après plusieurs mois de tergiversations passe par le Forum des droits sur Internet, qui a montré sa compétence pour aider à rapprocher des points de vue souvent divergents. Aujourd’hui, on se retrouve avec un texte de loi qui a été modifié par le Conseil constitutionnel, et qui est difficilement applicable. Peut-être que le prochain Parlement pourrait remettre sur le métier cette question.

DLL : Pensez-vous qu’il est de la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet d’envoyer des messages de prévention contre le piratage, comme le souhaite le gouvernement ?

Sébastien Bachollet : Je pense que cette question est liée à la précédente. Si l’on avait une loi compréhensible, applicable, qui tienne compte des besoins de tous, il n’y aurait pas ce besoin-là. Les intermédiaires doivent-ils jouer un rôle pour dispenser la parole du gouvernement ? En général, je n’en suis pas convaincu. Et là en particulier, ça me semble étrange.

Jim : La plupart des conflits entre un particulier et une entreprise sur la possession d’un nom de domaine tournent à l’avantage de l’entreprise. Faut-il protéger davantage les particuliers qui achètent un nom de domaine de bonne foi ?

Sébastien Bachollet : Je pense que ça dépend beaucoup dans quelle extension est acheté ce nom de domaine et à quel moment il a été acheté. Je crois absolument nécessaire de protéger à la fois les droits des entreprises, mais aussi les droits des particuliers. Quand il y a un conflit autour d’une entreprise qui a un nom et que la personne a le même nom, il n’y a pas de raison que ce soit plus l’entreprise que la personne qui récupère ce nom de domaine.

Une des façons de faire évoluer cette question, c’est aussi de tenir compte des nouveaux noms de domaine qui ont été introduits ces dernières années qui donnent plus d’espace à tout le monde, et donc les conflits a priori devraient diminuer.

Mais je suis preneur de tous les cas que vous connaîtriez sur ce sujet, pour pouvoir travailler avec mes collègues de l’ALAC (At Large Advisory Committee), qui doit permettre aux ulisateurs individuels d’exprimer leurs besoins sur les questions liées aux noms de domaine, en particulier dans le cadre de l’Icann.

Lionel : Faut-il et peut-on réguler Google streetview, qui prend en photo les gens aléatoirement dans la rue ?

Sébastien Bachollet : On peut tout réguler. La question encore une fois, c’est à quel niveau. Quels sont les avantages d’avoir ce genre de chose fait par Google, quel est son intérêt économique ? Globalement, il n’y a pas de raison que la vie privée des gens ne soit pas préservée, que ce soit par Google ou par un quelconque autre fournisseur de services ou de technologies.

christian : Est-ce qu’au delà de la régulation, un contrôle ne pourrait pas un jour s’exercer sur les contenus et aussi sur ceux qui y accèdent (création de liste noire de personnes qui n’auraient plus le droit de surfer ou de s’exprimer ...) ?

Sébastien Bachollet : Pourquoi ? Cela n’existe pas déjà ? Je pense qu’il y a un certain nombre d’organisations et de gouvernements qui suivent le contenu des échanges sur Internet. Dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme, il n’y a pas de doute que les Etats-Unis s’intéressent tant aux contenus qu’aux personnes qui échangent sur Internet. Et je suis sûr qu’on pourrait trouver bien d’autres exemples de par le monde.

cathare : Comment les pays européens peuvent ils s’organiser pour mettre en place une gouvernance régionale efficace et dynamique pour la gestion des ressources IP ?

Sébastien Bachollet : La question des ressources IP est déjà plutôt bien traitée, avec une organisation européenne qui s’appelle RIPE. Mais si l’on veut mettre en place une gouvernance régionale, il ne faut certainement pas s’arrêter aux ressources IP, il faut traiter les questions de noms de domaine, et plus globalement, d’usage de l’Internet. Sur les noms de domaine, j’espérais que la mise en place du point eu permettrait une réelle et efficace coordination européenne sur ce sujet. Cela viendra peut-être.

rousseaux : Existera-t-il une solution pour lutter globalement contre le SPAM, puisque celui-ci représente presque les 3/4 du mail circulant sur internet ?

Sébastien Bachollet : Je ne sais pas s’il existera une solution, mais il y a un travail important qui est fait tant au niveau national qu’au niveau international sur cette question. Et j’appelle de mes voeux une solution qui fonctionne.

Pour l’instant, il y a une coalition qui a pour objectif, déjà, de récolter les spams et de pouvoir avoir une vision claire de la situation réelle, parce qu’il est aussi clair que si nous n’agissons pas sur ce sujet, l’évolution du réseau sera de plus en plus remise en cause. Peut-être pas dans les pays dits développés, mais à coup sûr dans les pays qui aujourd’hui ont une bande passante faible et un réseau qui aurait besoin de se développer. Car 50 % d’un gros réseau, c’est beaucoup, mais il reste 50 % pour travailler. Et 50 % d’un petit réseau peut empêcher complètement les échanges sur Internet.

rousseaux : Est-il imaginable que l’accès à Internet devienne généralisable à toute la population, presque en tant que service public, pour supprimer la "fracture numérique", avec un aide à l’équipement un peu de la même manière que pour le Minitel ?

Sébastien Bachollet : C’est une très bonne question, puisque le slogan de l’ISOC, c’est "Internet pour tous et Internet par tous". Nous serions très heureux qu’une telle solution soit mise en oeuvre. Mais même si ce n’est pas celle que vous proposez, il est indispensable que tout le monde, en France, en Europe et dans le monde, puisse avoir accès à l’Internet, à ses ressources, à son contenu et aux possibilités d’échange qu’il permet.

Mais pour que cela puisse se faire, nous avons besoin que plus de personnes qui s’intéressent à ces questions-là participent à nos travaux, aux organisations qui se préoccupent de la gouvernance de l’Internet, et surtout, de ses usages.

Donc venez nous rejoindre, lisez les informations qui sont sur nos sites, celui d’ISOC France : www.isoc.fr, celui d’Egeni : www.egeni.org, et je ne saurais trop vous conseiller, outre la lecture du "Monde.fr", la lecture de la lettre "Sociétés de l’information" qui, tous les mois, explique les sujets du moment de l’Internet. Merci.

   

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